Un goût étrange…
Deux grandes bibliothèques, deux conceptions des publics et de la lecture
Lors de son périple en Normandie, l’APBFB a visité de grandes et belles bibliothèques qui valaient plus que le détour : le voyage lui-même. La comparaison de deux d’entre elles me parait digne d’intérêt.
La Bibliothèque Oscar Niemeyer du Havre et les Franciscaines de Deauville présentent un point commun évident : toutes deux proviennent d’un geste architectural fort.
La première est l’une des deux œuvres maitresses de l’espace culturel havrais conçu par Oscar Niemeyer et appelée le Petit Volcan pour sa silhouette cylindrique et plus discrète que son voisin le Grand Volcan, salle de spectacle. Le bâtiment de 1982 a vu son usage se transformer avec l’accord du maitre brésilien et devenir bibliothèque en 2015. À l’intérieur comme à l’extérieur, la ligne courbe est reine : l’élégant escalier en large spirale, les salons de lecture, les étagères, les assises, l’espace du conteur…
Bibliothèque Oscar Niemeyer vue de l'extérieur, en forme de volan.
La seconde est installée dans un couvent du XIXe siècle qui a servi au fil des ans d’orphelinat, d’hôpital et d’école professionnelle avant d’être revendu à la Ville de Deauville qui le transforme et y ouvre un lieu culturel innovant (et non une bibliothèque !) en 2021. L’ensemble est organisé autour de l’ancien cloître chapeauté par une étonnante verrière en tubes de plastique à la fois plafond et lustre. La chapelle est transformée en salle de spectacle et les chambres sur deux étages autour du cloitre deviennent les « univers » ; une aile en angle droit accueille la salle d’exposition.
Bibliothèque de Deauville, ancien cloitre aménagé. Le lustre est visible en haut de l'image.
La Bibliothèque Niemeyer appartient au réseau des bibliothèques municipales et relais-lecture du Havre et elle propose gratuitement des collections sur tous supports (dont vinyles et platines), des services sur place (espaces de lecture, de jeu vidéo et de travail au calme ou en groupe, salle du conte, salles cinéma pour projection individuelle ou de groupe, automates de prêt, tablettes, wifi, café…) et des services en ligne (catalogue commun au réseau, livres numériques, outils d’autoformation, cinéma, musique, patrimoine numérisé, inscription aux activités…). Elle organise en outre des ateliers pour la jeunesse (écoles) et pour les adultes (FLE, écriture). Elle ouvre cinquante-quatre heures par semaine dont deux le matin et deux le soir où l’accès n’est permis que dans le grand hall. Les visiteurs ont remarqué la mise en avant, dès l’entrée, des loisirs et de la vie pratique (dont santé et droit) ainsi que des audio-livres et livres en grands caractères. Un rayon parentalité, des livres en de nombreuses langues étrangères et des albums en grand format complètent l’espace jeunesse. Il n’existe pas d’espace adolescents ; les romans qui leur sont adressés sont présents devant les romans pour adultes.
Section jeunesse de la bibliothèque Oscar Niemeyer.
Au rez-de-chaussée des Franciscaines, le visiteur découvre un accueil-billetterie flanqué d’une boutique telle qu’on en trouve dans les musées, puis le cloitre dédié à la lecture paisible des périodiques quand il n’est pas privatisé pour tel ou tel événement. Aux deux étages, le jeu du décloisonnement est poussé à fond dans le but avoué de susciter les échanges artistiques : livres, CD, DVD, tableaux et sculptures se côtoient dans les « univers » dont les thèmes reflètent les préoccupations locales : Deauville – le cheval – le spectacle – les grands maitres – l’art de vivre. Un bel espace est consacré à la jeunesse. Les technologies ne sont pas oubliées : outre un fablab et des petites salles de visionnage, le public découvre des tables tactiles qui lui permettent de faire défiler sur un large écran l’énorme fonds d’images qu’il ne peut manipuler. L’institution s’enorgueillit de cent quatre vingt mille visites par an et cinq mille abonnés. Abonnés car rien n’y est gratuit, ni prêts ni spectacles ni utilisation du fablab ni expositions ni ateliers (programmés tout particulièrement le samedi ou pendant les vacances scolaires) ; le pass annuel offre certaines réductions mais coûte soixante euros aux particuliers, cent euros aux familles, douze euros aux bénéficiaires sociaux et aux étudiants. Abonnés aussi car le schéma économique l’exige : la mairie apporte cinquante-cinq pour cent des six millions de dépenses annuelles, le reste provient de recettes propres (billets, boutique, privatisation d’espace, visites guidées) et de mécènes participant au développement de projets. Les voyageurs et voyageuses de l’APBFB n’ont pas manqué de s’étonner : Deauville compte trois mille cinq cents habitants et les Franciscaines cinq mille abonnés. Pôle d’attractivité assumé de la municipalité, les Franciscaines renforcent manifestement la réputation de Deauville-Paris-sur-mer !
Bibliothèque de Deauville, espace consacré au cheval.
Au Havre et à Deauville, beauté et harmonie du lieu et intégration dans le paysage urbain voire l’histoire locale ne font aucun doute. Les deux institutions s’approchent chacune des quatre mille mètres carrés ouverts aux publics et emploient une quarantaine de personnes. Mais leur philosophie diffère du tout au tout : la Bibliothèque Niemeyer est la tête d’un réseau de lecture publique qui met en avant le service gratuit pour tous tandis que les Franciscaines, même si le guide prétend qu’un travail est fait avec les écoles et associations locales, est avant tout un lieu de divertissement culturel pour Parisiens (aisés) en week-end. Il n’en reste pas moins que la visite des deux lieux s’impose à tout passionné de culture qui visite la Normandie ! Merci à l’APBFB pour ces belles découvertes !
Françoise Dury, bibliothécaire à l’Opérateur d’appui de la Province de Namur
Photos de Françoise Dury.